Criminalisation de la solidarité

La CEDH saisie pour mettre fin aux « délits de solidarité »

La CEDH saisie pour mettre fin aux « délits de solidarité »

Le 20 janvier 2023, la Cour de cassation a confirmé une condamnation pour « aide à l’entrée d’un étranger en situation irrégulière en France », refusant la prise en compte de l’immunité humanitaire accordée depuis 2018 pour l’aide au séjour et à la circulation. Une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) vient d’être déposée.

Loïc Le Dall, président d’Emmaüs La Roya et membre du conseil d’administration de l’Anafé, impliqué dans la défense des droits des personnes exilées depuis plusieurs années, a été arrêté à la frontière franco-italienne en janvier 2018 alors qu’il conduisait sa voiture avec à son bord une personne racisée d’origine éthiopienne. Relaxé par le tribunal correctionnel puis condamné à une amende de 3 000 euros avec sursis par la Cour d’appel, la Cour de cassation a finalement confirmé en début d’année la condamnation de Loïc pour « aide à l’entrée d’un étranger en situation irrégulière en France ». Par cette décision, la Cour a exclu l’immunité humanitaire pour l’aide à l’entrée, condamnant ainsi Loïc pour « délit de solidarité ». Elle n’a par ailleurs pas répondu aux questions concernant le manque de caractérisation de l’infraction par la Cour d’appel. C’est en effet sans aucun élément matériel permettant de savoir si la personne était ou non « étrangère » et « en situation irrégulière » que la Cour d’appel a décidé de condamner Loïc. La Cour de cassation a également refusé d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet. Cette décision de la Cour de cassation renforce la criminalisation aux frontières des personnes en migration et des pratiques de solidarité.

Résolu à faire prévaloir le principe de fraternité qui motive son engagement et estimant qu’il a été victime d’une atteinte à son droit fondamental de porter assistance aux personnes vulnérables par devoir de conscience, Loïc a déposé il y a quelques jours une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Il souhaite ainsi que ce débat soit porté au plus haut niveau des juridictions européennes et qu’il soit mis un terme aux poursuites des défenseurs et défenseures des droits des personnes en migration.

« Le 3 novembre 2021, je me suis rendu à la Cour d’appel d’Aix pour entendre que j’étais coupable d’avoir, en 2018, aidé une personne d’origine éthiopienne dans son périple pour l’asile, dans sa fuite des conflits armés qui s’enlisent toujours. Sur le retour, j’ai ensuite passé 4 heures au volant de ma voiture à entendre s’enchaîner le même flash infos sur toutes les stations de radio. Face à la situation catastrophique des conflits armés en Éthiopie, l’ONU exhortait la communauté internationale à se mobiliser, notamment en protégeant les ressortissants rescapés de ce nouvel épisode sanglant. L’ironie même incarnée par cette Une de l’actualité. Je venais juste d’être condamné pour avoir pris en voiture une personne qui pourrait faire partie de ces rescapées à qui la France refusait le droit à la protection internationale. Début 2023, la Cour de cassation s’est prononcée : une réaction solidaire est punissable alors que les entraves multiples aux droits et les atteintes à l’intégrité des personnes aux frontières par l’administration française deviennent choses acceptables. Face à une décision si violente et incompréhensible, il s’imposait à moi de continuer le combat juridique en portant une telle absurdité devant la CEDH – pour toutes les victimes quotidiennes de leurs choix politiques. », déclare Loïc.
Aux côtés de Loïc, Emmaüs France, l’Anafé et toutes les organisations signataires sont déterminés à soutenir les personnes exilées et toutes celles et ceux qui leur viennent en aide.

Nos organisations appellent à une modification des textes afin de garantir l’application systématique de l’immunité humanitaire inscrite dans la Loi en 2018. Les personnes solidaires ne doivent plus être inquiétées, poursuivies ou condamnées pour leurs actions de fraternité à l’égard des personnes en migration – conformément aux préconisations du droit international. La défense des droits des personnes étrangères aux frontières que ce soit en mer, en montagne ou dans les plaines, ne doit plus être réprimée.

Une cagnotte a été créée pour aider Loïc à payer ses frais d’avocats. Vous pouvez le soutenir dans sa démarche politique de dénonciation des politiques migratoires et de la criminalisation des personnes en migration et solidaires. Pour l’aider, cliquez ici.

Contacts
Pierre Vouhé, responsable des relations presse Emmaüs France : pvouhe@emmaus-france.org –
06 43 09 81 46
Laure Palun, Directrice Anafé : palun.laure@anafe.org – 06 60 79 46 63

Organisations signataires :
Action Droits des Musulmans (ADM)
Amnesty International
Anafé
Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF)
ATTAC
Attac France
CCFD-Terre Solidaire
Centre de Recherche et d’Informations pour le Développement (CRID)
Collectif national droits de l’homme Romeurope
Confédération générale du travail (CGT)
Ecole Thot
Emmaüs Europe
Emmaüs France
Emmaüs International
Espace thématique Migrations d’Attac
Fédération des tunisiens citoyens des deux rives (FTCR)
Fondation Frantz Fanon
Groupe Accueil et Solidarité (GAS)
Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (GISTI)
La Cimade
Ligue des Droits de l’Homme
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP)
Paris d’Exil
Pateras de La vida au Maroc
Réseau Education Sans Frontières (RESF)
Tous migrants
UNEF
Utopia 56
Association Bagage’Rue
Association d’Accueil des Demandeurs d’Asile
Associations de Solidarité avec Tou·te·s les Immigré·e·s Petit Quevilly (ASTI Petit Quevilly)
Attac Paris
Avec Toits Montpellier
CCFD-Terre Solidaire Val d’Oise (CCFD95)
Cercle des Voisins du Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu
collectif AGIR d’Aix en Provence, Pays d’Aix et Pays d’Aigues
Collectif Chabatz d’Entrar
COllectif de SOlidarité MIgrants de Salindrenque (COSOMI Salindrenque )
Collectif de soutien aux migrants de Millau
Collectif Loire « Pour que personne ne dorme à la rue »
Collectif Migrant-e-s Bienvenue 34
Collectif poitevin D’ailleurs Nous Sommes d’Ici
Collectif Uni·e·s contre l’immigration jetable (Ucij), région nazairienne
Education World 86
Emmaüs Roya
Fédération Etorkinekin Diakité
Haut-Var Solidarités
Itinérance Dieppe
La Cimade Figeac
La Cimade Montpellier
Le collectif Fontenay diversité
Les Amies des Femmes de la Libération (LAFL)
Ligue des Droits de l’Homme Arles
Ligue des Droits de l’Homme Poitiers
L’Usine de la Redonne
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples Alpes-Maritimes (MRAP06)
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples de Montpellier (MRAP34)
Mouvement pour une Alternative Non-violente Nomandie (MAN Normandie)
Pantin Solidaires
Pastorale des migrants de Rouen
Réseau Education Sans Frontières Alpes-Maritimes (RESF06)
Réseau Education Sans Frontières Haute-Loire Lozère (RESF48)
Réseau Education Sans Frontières Hérault (RESF 34)
Roya citoyenne
Salto 92
Solidaires31
Solidarité Migrants à La Rochelle (Collectif Migrants 17)
TadamunExil70
Tous Migrants Savoie
Welcome Pays d’Aix
Militant.es
Alain Fabart, économiste
Béatrice Lemanceau
Bénédicte Madelin
Catherine Bordiga, collectif Migrants Bienvenue à Montpellier
Claude Li, Initiative Citoyenne pour l’Accueil de Réfugiés dans l’Embrunais (ICARE05)
Eliane Faintrenie, Attac
Eric Fessard mouvement alternatives non violentes.
François Barruel
Geneviève Durand-Carré, Réseau Migrations du CCFD-Terre Solidaire
Georges Le Bris
Hélène Henry
Hélenne Nicot
Jean-Jacques Gandini, Syndicat des Avocats de France, Ligue des Droits de l’Homme
Jean-Michel Flandrin
Jean-Pierre Julien, Attac, Réseau Education Sans Frontières Haute-Loire (RESF 43)
Laurette Pays, Attac, Réseau Education Sans Frontières Haute-Loire (RESF 43)
Leila kennouda, Ligue des Droits de l’Homme à Cahors (LDH46)
Martine Landry, Anafé
Michel Brocard
Mireille Damiano, Syndicat des Avocats de France
Monique Kaiser, Atta
Muriel Bloch
Odette Furois, Education World 86
Patrice Kap
Pierre-Yves Dacheux, Ligue des Droits de l’Homme à Montpellier (LDH34)
Raymond Gauer, CCFD – Terre Solidaire
Raymonde Ferrandi
Sarah Sameur, avocate à la Cour
Stéphanie Besson
Stéphanie Mallet, avocate
Sylvie Gentil, La Cimade Chambéry

Complément d’information :

Le 18 janvier 2018, Loïc est arrêté lors d’un contrôle d’identité au péage de La Turbie dans le sens Italie-France. À bord de son véhicule, il y avait une personne d’origine éthiopienne. Ils ont été arrêtés tous les deux. Loïc a reconnu avoir aidé cette personne dans son parcours migratoire pour des motifs humanitaires. Quelques jours avant, un homme avait été retrouvé mort sur le toit du train en provenance de Vintimille – il avait été électrocuté. La personne d’origine éthiopienne a été immédiatement renvoyée en Italie.

À l’issue de sa garde à vue, Loïc a été présenté au tribunal correctionnel de Nice en comparution immédiate. L’audience a été reportée au 14 mars. Pendant cette période, il avait l’interdiction de sortir du département des Alpes-Maritimes et devait se présenter une fois par semaine au commissariat.

Le 14 mars 2018, le tribunal correctionnel de Nice a relaxé Loïc en raison notamment de l’absence d’audition de la personne d’origine éthiopienne dans la procédure pénale et de l’absence de procédure relative à la situation administrative de cette personne sur le territoire français. Le tribunal avait en effet estimé que « la culpabilité ne peut être retenue sur la seule base de l’auto-incrimination, le délit poursuivi n’apparaît pas suffisamment caractérisé en l’absence d’enquête sur la situation administrative de l’étranger visé à la procédure ».

Le parquet avait alors fait appel de la décision. L’audience en appel s’est tenue le 20 mars 2019 à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Le 1er avril 2019, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné Loïc à 3 000 euros d’amende avec sursis pour « aide à l’entrée d’un étranger en situation irrégulière en France ». Loïc a alors formé un pourvoi en cassation. L’audience devant la Cour de cassation s’est tenue le 2 septembre 2020 et l’arrêt de la Cour a été rendu le 14 octobre 2020. Pour rappel, dans son arrêt, la Cour de cassation avait sanctionné la Cour d’appel pour ne pas avoir examiné les moyens de nullité de procédure, soulevés par l’avocat de Loïc, avant de se prononcer sur le fond du « délit de solidarité ». La Cour a renvoyé l’affaire devant la même Cour d’appel dans une nouvelle composition pour un nouvel examen. C’est ce nouvel examen qui s’est tenu le 15 septembre 2021.

Le 3 novembre 2021, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a de nouveau condamné Loïc à 3 000 euros d’amende avec sursis pour « délit de solidarité ».
La Cour de cassation a de nouveau été saisie par Loïc. Par une décision du 25 janvier 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Loïc et a confirmé sa condamnation. Il a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme.

Loïc est observateur aux frontières intérieures terrestres et membre de l’Anafé depuis janvier 2018 et est membre du conseil d’administration de l’Anafé depuis juin 2022. Il a rejoint le Mouvement Emmaüs et est président d’Emmaüs Roya depuis août 2019.