Economie solidaire

Deux ans après la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire par l’ONU, l’urgence d’une transformation effective de nos systèmes économiques

Deux ans après la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire par l’ONU, l’urgence d’une transformation effective de nos systèmes économiques

Il y a tout juste 2 ans, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait une résolution importante et significative pour l’action du Mouvement Emmaüs sur la promotion de l’économie sociale et solidaire (ESS), au service du développement durable. Une seconde résolution[1], adoptée un an plus tard, souligne l’importance de l’ESS comme « moteur essentiel d’un développement inclusif et durable, en particulier pour promouvoir le travail décent, réduire les inégalités et favoriser la transformation sociale« .

Il ne fait désormais plus aucun doute que les objectifs de l’Agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable ne seront pas atteints. Il est urgent de mettre notre système économique mondial au cœur des débats, afin de repenser radicalement la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Alors que l’économie mondiale, mondialisée et jusqu’ici largement dérégulée, est secouée par des mesures protectionnistes américaines, il est urgent de tourner notre regard du côté d’un système économique qui privilégie l’humain et l’environnement, plutôt que le profit et la surconsommation.

L’économie sociale et solidaire peut être une réponse, à condition qu’elle soit réellement au service de l’être humain et de son environnement, comme le défend Emmaüs International[2].  Cela nécessite de développer des activités économiques qui garantissent le respect des droits sociaux et environnementaux mais aussi de reconnaître et de donner la priorité aux acteurs-rices de l’économie sociale et solidaire.

L’économie sociale et solidaire vise à construire une économie juste et durable à travers un mouvement mondial qui privilégie les personnes et la planète plutôt que les profits, en mettant l’accent sur l’entraide, la justice sociale et la responsabilité environnementale à travers des pratiques telles que les coopératives de travailleurs et le commerce équitable […]. Il y a environ 53 ans, quelque 200 habitants du village de Thanapara ont été tués par les forces d’occupation pakistanaises pendant la guerre de libération. Les familles touchées, notamment les veuves et les femmes sans père, ont bénéficié d’emplois et d’une éducation primaire pour leurs enfants. Grâce à un soutien continu à leur relèvement économique, la pauvreté a été réduite et le village est devenu un village modèle en raison de l’augmentation des taux d’emploi et d’éducation.[3]

Cette résolution de l’ONU est une reconnaissance extrêmement importante. Néanmoins, l’expérience des groupes Emmaüs dans 45 pays du monde nous montre que cette reconnaissance et cette priorité sont loin d’être effectives pour bon nombre d’entre eux. La force du secteur de l’ESS reste infime face à des entreprises qui n’ont que faire des conditions de travail ou de l’impact environnemental de leurs activités.

La résolution onusienne encourage notamment “les acteurs de l’économie sociale et solidaire à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques, notamment dans le cadre de dialogues consultatifs” et incite “les États membres à promouvoir et à mettre en œuvre des stratégies, des politiques et des programmes nationaux, locaux et régionaux visant à appuyer et à favoriser l’économie sociale et solidaire”. Hélas, cette approche reste aujourd’hui complètement absente dans de nombreux territoires, qui continuent de privilégier des acteurs économiques purement commerciaux et capitalistiques, y compris pour la gestion de services et de biens essentiels aux populations.

Les groupes d’Emmaüs International le disent : pour eux, l’économie éthique et solidaire est une réponse politique, symbole d’une convergence de luttes pour l’accès aux droits, capable de proposer une transformation sociale globale.  Mais la réduction des inégalités ne pourra se faire par le simple fait de favoriser l’économie sociale et solidaire : il faut la prioriser et rompre avec les logiques économiques actuelles, qui sont totalement dépassées par rapport aux enjeux mondiaux. Le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme le défend[4]: la croissance du PIB ne permet pas, contrairement à ce qui a longtemps été défendu, de sortir les populations de la pauvreté.

Pourtant, les exemples d’alternatives existent à travers le monde, et ce, depuis bien avant que le sujet de l’ESS soit mis à l’agenda politique international. Les groupes Emmaüs en font la démonstration au quotidien :

En Inde […], de nombreuses femmes issues des castes supérieures ne bénéficient jamais d’une liberté économique ni de la possibilité d’exprimer leur opinion […]. Les femmes sont toujours limitées par l’argent, la dignité, la pureté et le respect, mais l’économie sociale solidaire les aide à briser toutes ces barrières et à participer activement aux décisions sociales, économiques et politiques de la famille et de la société. [5]

“Grace à la mise en place et au développement de la Mutuelle de Santé Afrique Section du Burkina, les membres ont un accès aux soins de santé de qualité […] A travers le réseau de la Fédération des Mutuelles Sociales et Communautaires du Burkina Faso, nous exprimons nos avis et préoccupations sur certaines questions comme par exemple, le Régime de l’Assurance Maladie Universelle (RAMU). De ce fait, nous portons la parole des populations, et organisons des plaidoyers pour un accès universel à la santé.” [6]

Certes, la question de la reconnaissance de l’ESS fait son chemin, illustrant une évolution de sociétés à l’égard de ces modèles économiques alternatifs. Mais il reste encore de gros efforts pour bâtir une économie véritablement au service des êtres humains et de la planète. Si l’économie sociale et solidaire mérite d’être valorisée et soutenue, elle ne saurait pallier les carences des services publics. Il est essentiel de ne pas opposer ces deux piliers : le développement de l’ESS doit aller de pair avec le renforcement des services publics, et tous deux doivent être soutenus par une volonté politique forte face aux logiques libérales qui fragilisent la cohésion sociale.

C’est pourquoi, Emmaüs International profite de ce 2ème anniversaire de la résolution onusienne pour demander aux Etats de mettre en œuvre des politiques et des mesures nationales, locales et régionales, pensées et élaborées à partir de l’expérience des acteurs.rices de cette économie sociale et solidaire. La communauté scientifique est claire[7] : il n’est plus question de savoir si une transformation vers une consommation et une production durable et éthique est nécessaire, mais de comment y parvenir. 

Crédit photo : Patrick Gruban, cropped and downsampled by Pine — originally posted to Flickr as UN General Assembly


[1] Résolution 79/213 adoptée par l’Assemblée générale le 19 décembre 2024 [sur la base du rapport de la Deuxième Commission (A/79/437/Add.11, par. 8)]  79ème session (2024-2025) – Assemblée générale – Raccourcis – Research Guides at United Nations Dag Hammarskjöld Library

[2] Voir notre Rapport mondial sur nos combats contre la pauvreté, publié en 2021: https://www.ourvoicesmatter.international

[3] Md Mynul Haque Santo, membre du groupe Emmaüs Thanapara Swallows Development Society, au Bangladesh

[4] https://www.srpoverty.org/fr/2024/07/01/eradicating-poverty-in-a-post-growth-context-preparing-for-the-next-development-goals/

[5] Témoignage de Josephine Martine, membre du groupe Emmaüs Village Community Development Sociey, en Inde

[6] Témoignage d’Emmanuel Siambo, membre du groupe Emmaüs Solidarité Ouaga, au Burkina Faso, et membre de la mutuelle santé Afrique mise en place par le groupe Emmaüs

[7] Global Resources Outlook 2024 | UNEP – UN Environment Programme