Albert Tévoédjrè, Béninois d'exception, à l'origine d'Emmaüs au Bénin

Albert Tévoédjrè, Béninois d'exception, à l'origine d'Emmaüs au Bénin


Notre ami Albert Tévoédjrè nous a quittés le mercredi 6 novembre 2019. Un homme au parcours exceptionnel, tant au plan national qu’international. Mais aussi un homme auquel Emmaüs International et plus particulièrement Emmaüs Afrique doivent beaucoup.

Il y a 30 ans, du 8 au 16 novembre 1989, Albert Tévoédjrè et son épouse Isabelle accueillent chez eux, au Refuge du Pèlerin à Porto-Novo, la 1ère rencontre interafricaine d’Emmaüs, convoquée à l’initiative d’Emmaüs International et de son président, Franco Bettoli. Emmaüs International y est représenté par son président, par Jean-Marie Viennet, des membres du secrétariat international (Laurent Desmard et Brigitte Mary), Graziano Zoni au nom d’Emmaüs Italie, et des associations d’Afrique francophone en lien avec des groupes Emmaüs d’Europe.

Cette première rencontre interafricaine marque le début du renouveau et de l’extension d’Emmaüs en Afrique où, jusqu’alors, Emmaüs International ne compte qu’un seul membre au Rwanda. Albert Tévoédjrè fut l’un des acteurs majeurs de ce renouveau, après sa rencontre avec l’abbé Pierre et son intervention à la 5ème assemblée générale d’Emmaüs International près de Namur en octobre 1984 sur le thème L’actualité d’Emmaüs dans l’environnement Nord-Sud.

Cette invitation à l’assemblée générale de 1984, il la doit à son livre La Pauvreté, richesse des peuples, paru en 1978 1 .

En ouverture de son intervention à l’assemblée générale de 1984 2 , Albert déclare :

« Votre aspect particulier, ce qui justifie votre action vis-à-vis d’un homme du Tiers Monde comme je le suis, c’est que vous ne vous occupez pas du Tiers Monde. C’est très important. Vous vous occupez de l’homme partout où il se trouve, vous vous occupez de la misère dans tout pays du monde, et vous le démontrez d’abord dans votre environnement immédiat. Ceci vous donne un crédit extraordinaire, unique, et je vous dis sincèrement que, dans le monde d’aujourd’hui, il est souvent plus facile d’être missionnaire au Népal que de s’intéresser aux travailleurs immigrés de la région dont on est. »

L’Afrique est alors le continent qui compte le plus grand nombre de pays pauvres. Emmaüs International ne peut en être absent sans renier ses valeurs. À la fin des années 1980, la volonté de son comité exécutif est sans ambiguïté : faire émerger des groupes Emmaüs qui soient, tout à la fois, authentiquement africains et placés sur un pied d’égalité avec les autres membres du mouvement à travers le monde. Il entend aussi se démarquer des pratiques habituelles des ONG étrangères qui font appel à des volontaires expatriés. Volonté qui rejoint les convictions profondes d’Albert.

En 1988, la route d’Albert croise en Suisse celle de Véronique Gnanih, Béninoise qui termine une formation universitaire sur les questions d’environnement. Elle prépare son retour au Bénin et souhaite réaliser dans sa ville de Porto Novo une action de développement et protection de l’environnement : traitement des ordures ménagères pour assainir la ville, fabrication de compost et agriculture biologique. Albert la met en contact avec Emmaüs International. Avec plusieurs représentants d’associations d’Afrique francophone œuvrant dans le domaine de la solidarité et du développement, elle est invitée en observatrice à l’assemblée générale d’Emmaüs International qui se tient à Vérone (Italie) en septembre 1988. C’est grâce à Albert et Véronique qu’Emmaüs Tohouè voit le jour mi-1989. Grâce encore à Albert, qui met Emmaüs International en contact avec Mgr Isidore de Souza, évêque coadjuteur de Cotonou, que voit le jour en 1991 la communauté Emmaüs Hêvié, aujourd’hui Emmaüs Pahou.

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L’histoire des relations d’Emmaüs International avec le Bénin est marquée aussi par un événement exceptionnel quant à sa nature et son retentissement dans tout le continent africain3 . Nous sommes en décembre 1989, après 17 ans de révolution marxiste-léniniste : machine économique démantelée, peuple bâillonné et système éducatif détruit4. Face à une lutte grandissante pour les droits de l’homme, le régime béninois annonce l’organisation d’une conférence nationale des forces vives de la nation. Près de 500 délégués, représentant toutes les catégories socioprofessionnelles, se réunissent en février 1990. Parmi eux, Albert Tévoédjrè et Isidore de Souza, remplaçant en dernière minute le délégué de l’Église catholique et élu président de la conférence.

Face au gouvernement, l’assemblée, dans un grand courage politique, proclame sa souveraineté. Albert Tévoédjrè et Isidore de Souza y jouent un rôle prépondérant. Les abus du régime, la répression sont dénoncés. L’assemblée émet des propositions concrètes pour le retour à l’État de droit et au multipartisme, la libération des prisonniers d’opinion. Elle met sur pied un Haut Conseil de la République (HCR) chargé de préparer un référendum constitutionnel et des élections présidentielles et législatives, exercer la fonction législative et contrôler l’Exécutif. Isidore de Souza est élu président de ce HCR avec rang de chef d’État.

Fait remarquable et inespéré, la conférence nationale se déroule sans aucune effusion de sang. L’expérience béninoise pour le retour à la démocratie, est reprise et imitée avec des résultats divers dans un grand nombre de pays du continent africain dans l’année qui suit.

Albert ainsi que les compagnons et amis d’Emmaüs béninois, eux-mêmes très engagés dans cette « révolution non violente », insistent pour qu’Emmaüs International soutienne le renouveau démocratique et le fasse largement connaître parmi les gouvernements et opinions publiques en Europe. Dès juin 1990, Emmaüs International s’engage pour le développement et la démocratie au Bénin. Il finance des actions de développement pour donner à la population des signes tangibles d’amélioration de ses conditions de vie, dans le cadre du Forum du Renouveau, concertation entre ONG béninoises et du Nord. Et surtout, fait sans précédent, Emmaüs International lance (avec d’autres ONG européennes) une campagne d’information et de plaidoyer sur le thème « Vaincre la fatalité en Afrique »5 . L’abbé Pierre et une délégation d’Emmaüs International se rendent au Bénin en octobre.

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Au cours de ces 30 ans, les liens entre Albert Tévoédjrè et Emmaüs International n’ont jamais cessé. Il a contribué à notre réflexion et à nos actions par son soutien moral, la mise en relations.

Pour tout cela, MERCI Albert. Merci infiniment.

Éditions ouvrières, Paris, 1978, préface de dom Hélder Câmara. Publié en français, traduit en allemand, anglais, espagnol et italien.
2 Intervention reproduite en intégralité dans la Lettre d’informations d’Emmaüs International, n° 47, décembre 1984, pages 20 à 33 et 37-38.
3 Source : Lettre d’Informations d’Emmaüs International n° 69, juin 1990.
4 Ces trois expressions sont empruntées à Aurélien Agbenonci : « Bénin, l’avancée d’un pays parmi les moins avancés vers la démocratie » (Lettre d’Informations d’Emmaüs International, n° 69, juin 1990, p. 9-13).
5 Dossier de presse, conférence à L’Arche de la Fraternité, Paris La Défense, 26 septembre 1990.