Agroécologie

Au Bénin, le « sens d’Emmaüs » passe par la ferme

Au Bénin, le « sens d’Emmaüs » passe par la ferme

Source : la-croix.com – 15 octobre 2021
Reportage. À l’occasion de la Journée pour l’élimination de la pauvreté, dimanche 17 octobre, Emmaüs International publie son premier rapport mettant en lumière des solutions concrètes, locales et mondiales. Exemple au Bénin où, depuis vingt ans, des jeunes en rupture sont accueillis dans une ferme où ils trouvent un espace pour se remettre à flot.

Delphine Bousquet

« On va rester ensemble et on va travailler ensemble. » Ces mots en fon – la principale langue nationale béninoise – accueillent les nouveaux à la ferme Emmaüs du village d’Adjarra-Hounvè, au sud du Bénin. Une façon de traduire l’expression « entrer en communauté ».

Sur ce site verdoyant de douze hectares au bord d’un lac, on s’active tôt le matin avant que la chaleur n’écrase tout. « Le travail commence dès sept heures, explique le superviseur, José Hounsa, croix dorée autour du cou. La discipline de groupe doit être respectée. » Tout le monde met la main à la pâte pour produire légumes, fruits ou animaux qui seront vendus : les trois encadrants et les huit jeunes hébergés.

« Ce que je veux, c’est travailler et être payé régulièrement »

Jean-Baptiste Akakpo, 29 ans, arrose des pousses de vernonia, dont les feuilles sont consommées en sauce. Arrivé l’an passé, il dit avoir arrêté l’école après deux échecs au bac. « J’ai “jobé” comme aide-maçon, manœuvre, chaque jour il faut chercher de quoi gagner de l’argent. Moi ce que je veux, c’est travailler et être payé régulièrement. Ici, c’est comme ça, j’ai un boulot et un revenu fixe. » Chaque mois, il perçoit le salaire minimum (60 €) et bénéficie d’une mutuelle, un luxe dans un pays sans couverture santé. Un week-end sur deux, il retrouve sa femme et ses deux enfants. « Pour elle, c’est bon car notre condition s’est améliorée. »

Abandon d’études ou de formation faute d’argent, puis précarité et pauvreté, le parcours est courant parmi les compagnons. Au Bénin, l’apprentissage chez un patron est payant, comme la sortie de cette formation et le passage du diplôme que beaucoup n’obtiennent jamais, condamnés aux petits boulots. Certains passent par la rue ou la prison. Souvent, le bouche-à-oreille les a conduits ici. « On ne fait pas de différence, précise Félix Houndjigbio, coordonnateur du site. L’objectif est de donner un métier à ceux qui sont déscolarisés, et de permettre à ceux qui ont été apprentis de constituer un pécule pour s’installer. »

« Que les volontaires retournent dans la société quand ils sont prêts »

Emmaüs Pahou, une des trois branches d’Emmaüs Bénin qui gère la ferme, donne un coup de pouce financier pour passer les diplômes puis se mettre à son compte. Un appui précieux alors que les banques ne prêtent pas aux jeunes sans garantie, et que la microfinance a des taux d’intérêt élevés. Au Bénin, où près de la moitié de la population vit dans la pauvreté, la ferme a aidé plus d’une centaine de personnes à se réinsérer. « Le but est que les volontaires se construisent et qu’ils retournent dans la société quand ils sont prêts et s’ils le veulent. Ceux qui ne supportent ni le travail ni la discipline partent d’eux-mêmes », rappelle Cynthia d’Almeida, chargée des solidarités.

La vie en petite communauté donne une force supplémentaire. Les compagnons travaillent, mangent ensemble. « Je me sens entouré, ça redonne confiance », confirme Jean-Baptiste, « plein de projets », même s’il n’envisage pas de quitter l’exploitation pour le moment. Partir, Alphonse Goutchoedou n’y a même jamais songé. Le mince quadragénaire est le doyen et la mémoire du lieu. Issu d’une famille polygame, tôt livré à son sort, ce père de cinq enfants vit sur la ferme sans ses proches.

« C’est un plaisir de transmettre ce qu’on m’a appris ici, dit-il. On est comme une famille. » Lui est responsable du maraîchage. « Les jeunes reprennent goût au travail, deviennent acteurs de leur changement, analyse Patrick Atohoun, président d’Emmaüs International, à l’origine du projet. C’est le sens d’Emmaüs. »


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