A partir de l’engagement personnel et des convictions de son fondateur, le Mouvement va progressivement développer une interpellation collective forte, régulièrement actualisée en fonction des évolutions de la société, et complémentaire à son action de terrain avec les plus démuni.e.s. 

Le Manifeste universel de 1969 donne les bases du Mouvement Emmaüs, ses méthodes et ses objectifs fondamentaux. Mais ce texte de synthèse, destiné à rassembler au sein d’un même mouvement des groupes déjà existants et actifs depuis parfois près de 20 ans, restait très général et pouvait être sujet à interprétation, notamment sur le thème des orientations « politiques » qui n’y sont pas explicitement abordées. Au départ, c’est donc l’objectif social qui est mis en avant : « servir premier le plus souffrant ». 

Dès 1974, lors de l’Assemblée générale d’Emmaüs International, un des ateliers de travail constate « qu’au sein d’Emmaüs, quelques groupements appliquent une religion particulière ou une politique de parti, pouvant amener l’exploitation de la violence ou un endoctrinement quelconque… » et conclut en proposant que les groupes Emmaüs s’interdisent de prendre une « orientation stricte sur le plan confessionnel ou politique ». Mais cette position suscite alors une forte controverse au sein de l’Assemblée générale, qui confie au Conseil d’administration (alors appelé « Commission administrative ») de régler le problème. 

Les élus du Mouvement travaillent alors à élaborer un texte qui assume la volonté d’interpellation politique pour dénoncer les injustices, portée par ses fondateurs, et notamment par l’abbé Pierre, tout en posant effectivement un cadre face à d’éventuelles dérives. Après un travail de concertation en interne, un texte est proposé et adopté par l’Assemblée générale de 1979. Sous le titre « Ampleur et limites de l’engagement social d’Emmaüs », ce texte affirme de façon beaucoup plus claire et précise les objectifs politiques du Mouvement. 

Emmaüs se positionne alors comme étant « avec » les personnes considérées comme marginales, exclues, opprimées… et d’une façon générale avec « les plus souffrants de la société ». La conséquence logique de cet engagement, c’est qu’Emmaüs « se trouve et demeure en conflit avec tous ceux qui, consciemment ou inconsciemment, sont causes de la misère ». Et si l’action immédiate pour soulager cette misère est évidement une action essentielle, elle doit s’accompagner d’actions visant à aider les plus faibles « à pouvoir eux-mêmes revendiquer leurs justes droits » et à faire entendre « leur propre voix ». 

Ces éléments sont toujours au centre du projet Emmaüs : faire « avec » et non pas « pour » ; et aussi importante que soit l’action sociale menée, elle ne doit pas être détachée d’une action « politique » visant « la destruction des causes de chaque misère ». 

Le Mouvement va ensuite actualiser les termes de ces affirmations dans un texte élaboré entre 1994 et 1999, en pleine période d’expansion des idées néolibérales. Intitulé « Engagements solidaire », ce texte dénonce un monde « divisé par la pauvreté et les inégalités » où « les hommes souffrent d’exclusion, d’oppression, d’exploitation » et propose un projet alternatif : un monde où il serait possible de « vivre en bonne harmonie, partageant un mode de vie équitable et digne pour chacun ».  

Le Mouvement Emmaüs s’inscrit dès lors dans une dynamique qui naît à partir de la fin des années 1990 : l’altermondialisme. L’Assemblée générale de 1999 publie une déclaration très claire à ce sujet, intitulée « Contre la « mondialisation de la pauvreté » », et le Mouvement sera présent à de nombreuses réunions du Forum social mondial (2003 Porto Alegre, 2004 Mumbai, 2005 Porto Alegre, 2009 Belem, 2011 Dakar, 2013 et 2015 Tunis), ainsi qu’à de nombreuses initiatives régionales ou thématiques de ces forums. 

Cette volonté d’agir sur les causes de la misère, et pas seulement la soulager, conduira le Mouvement à inscrire en 2016 toutes ses actions dans 3 combats :

Etape précédente Etape suivante